Textes & Écrits

Jean Vidal

Il est artiste plasticien mais aussi poète. Son art  se caractérise par un art constant de l’assemblage, conçu comme créateur et ouvreur de nouveaux espaces (physiques mais aussi mentaux).                                Ses installations sculpturales font la part belle au minimalisme en sourçant notamment ses matériaux dans la récupération. A ce titre son art pourrait adopter l’adage célèbre de Mies van der Rohe :               « Less is more »                                                                                                                  Les constructions architecturales de tout type sont source d’inspiration:  obélisques, pyramides, arches …  autant de formes que reproduit, dans son langage poétique, le sculpteur Jean Vidal.

 (Gwenaël Prud’homme)

Les sculptures de Jean Vidal se dressent dans l’espace comme une évocation des tracés

d’anciens parchemins des architectes romans. N’y a-t-il pas aussi comme une résurgence

des structures porteuses des Khaymas des Beni-Mtir, tribu berbère du moyen Atlas marocain ?

C’est en suivant ces chemins du passé, en parcourant ces sentiers, ces labyrinthes de l’âme

 afin d’aller au plus profond de soi avec ce que l’on connaît et qui déjà nous a bâti

que l’on peut trouver dans cette recherche même un abri qui nous protègerait

de ce vide immense des constellations qui fait notre émerveillement et notre effroi

Xavier Krebs

Cher Jean,

Je n’imaginais pas, en acceptant d’écrire quelques lignes sur tes recherches, à quel point l’exercice me serait difficile. Non pas qu’il ne m’inspire que peu de mots, mais bien au contraire que cette « quête » entêtée et silencieuse d’une perspective d’un au-delà ou d’un là-bas perdu, concentrée dans ton atelier et envahissant la maison, le jardin, m’impressionne.

En visionnant à nouveau les images faites cet été en ta compagnie, en me remémorant les mots précis et rares qui ponctuaient les prises de vue, je perçois nettement l’imperturbable nécessité (et volonté) du passage : ponts, passerelles, antennes. Constructions « improbables » qui nous projettent, nous traversent d’un désir à l’autre, d’un souvenir à l’autre, d’une image à l’autre. Car il s’agit bien pour moi d’espaces de l’esprit que ces structures, fines, sobres et élancées, nous invitent à franchir dans leur indéniable présence et leur singulière fragilité.

L’accumulation des pièces, petites ou grandes, tendues, verticales, prêtes à émettre leur persistant signal ou, suspendues, tracées comme des lignes haut perchées pour accéder, horizontales à l’autre bout de… suscite un léger vertige devant tant de combinaisons possibles du passage et de la transmission.

Ces traversées métalliques, couvertes, ajourées, colorées, radicales mais aimables au regard lointain, dessinent, dans leur rassemblement et leur concentration, cette utopique cité où nous pourrions sans cesse nous re-joindre.

J’oublie de considérer les objets récupérés qui constituent la base de tes constructions. Ils ne donnent que plus de justesse poétique à ces sculptures – appelons-les aussi de cette façon – tout comme ils soulignent la radicalité d’un geste artistique qui tend à l’essentiel du désir et du souvenir.

Demeure en moi cette sensation que j’ai à peine entamé la traversée …

Merci. Bien à toi.

Brigit

À Mancioux, le 22 décembre 2013. Brigit Bosch

La Maison de Jean Vidal à Saramon

Jean Vidal reconstruit des obélisques, des pyramides et des colonnes de temples, ou plutôt en dessine le squelette, l’idée même, dans l’espace, d’un trait de fer rehaussé d’une couleur primaire, primitive.

Il montrait il y a peu, au Frigo à Albi, des architectures récentes, plus neuves, plus « sorties d’usine », lisses et finies à la manière des œuvres minimalistes des années 60 et 70, des vertiges, expliquait-il, des hauts de ponts, de viaduc, de tours, qui trouvaient cependant leur place dans la petite salle du Frigo malgré leur caractère monumental.

Je suis plus sensible aux verticales rouillées, tordues ou mal redressées, aux pieux de bois recouverts il y a longtemps de peinture maintenant usée, rouge, bleue, jaune écaillé, qui peuplent avec affection sa maison familiale de Saramon.

Les dessins de fer de Jean Vidal y sont installés depuis l’extérieur et soulignent, encadrent, soutiennent, indiquent, conduisent dans la maison.

Depuis le bas, par les petits escaliers de pierre ou de bois, les volées de trois ou quatre marches, on grimpe dans une sensible installation, dans une œuvre totale signée Jean Vidal. Ses flèches archaïques, ses arbalètes inoffensives montrent le parcours vers le ciel, une pièce de bois des colombages extérieurs soulignée par une drôle de règle gradué de David Lachavanne le laissait deviner, il faut aller jusqu’au grenier pour trouver derrière la porte bleue, l’atelier de l’artiste.

L’ascension est douce, on ne fait pas d’effort, on croise des amis, des inconnus, la mère de Jean qui pose en starlette dans le studio familial, son père, enfant, ses oncles, ses tantes. La maison est habitée, la table est mise, on a ouvert les fenêtres pour que le soleil réchauffe les chambres, on est en vacances d’automne, c’est l’été de la Saint Martin.

Les transparences, les effacements d’Aline la discrète et toutes les œuvres de leurs amis jouent la même partition avec les images, les photos, les objets et toute la mémoire de la maison qui n’est pas devenue pour autant un musée (un musée est une forme de cimetière) ni un album de famille nostalgique. C’est un intime Lascaux dans lequel je ne suis pas étonné de rencontrer Giorgio Morandi, (autre enfant de Cézanne) endormi au coin de la table, couronné de l’une de ses natures mortes silencieuses.

Jacques Trouvé

J’ai entendu dire que Jean Vidal était né « là-bas », de l’autre côté de la Méditerranée où son père en mission dans ces années-là, avait rencontré une jeune femme très sensible au paysage écrasé de soleil. Il y avait déjà un atelier et une chambre noire.
Plus tard à Toulouse, il fréquente les Beaux-Arts du soir et se réveille un beau matin ce peintre illuminé par le souvenir, où l’orient sensuel et bariolé, enchante les solitudes quelque peu déshéritées de l’Afrique du Nord. Il a gardé chez lui des vestiges de ce passé inoubliable.
Je connais de lui un premier ensemble d’œuvres de type rural. Une approche déjà très rationnelle des matériaux. Trois cailloux sont ainsi devenus une Vénus protohistorique, des outils sont apparus appuyés contre un mur, inutiles et splendides. Ils défient le temps et nous aimerions vieillir comme eux, toujours droits. Il y a cette sculpture audacieuse : deux ou trois branches qui expriment le désir, d’une beauté radicale.
Petit à petit il rentre dans un âge de fer où cette pratique du « ready-made » se perpétue avec rigueur et simplicité comme dans ses textes. Dans ses œuvres plastiques la part du donné ne nuit jamais à l’existence d’une écriture très singulière que l’on peut assimiler à une forme de constructivisme « primitif ». Il le revendique lui-même. Toutefois, il ne ressemble à personne, on lui chercherait vainement des modèles.
De nombreuses séries vont se succéder (pyramides, passerelles, voûtes, antennes, séchoirs, entrelacs) avec des principes de composition qui se prêtent à des variations d’une grande efficacité visuelle : une présence augmentée par l’usage de la couleur où l’on devine que l’enfance n’est pas loin.
Les assemblages n’ont rien à voir avec les « trouvailles surréalistes ». Ils sont très justes plastiquement et font autorité. Ici nulle froideur théorique, mais là sous nos yeux des géométries sans concession et pourtant très préhensibles. Pour faire sérieux, on pourrait penser à la Gestaltthéorie, théorie de la bonne forme de certains philosophes allemands.
Dernièrement, il a présenté une prolifération de petites sculptures qui les unes avec les autres ont l’air de s’entendre sans se bousculer et ne troublent pas la sérénité du « regardeur » (pour en revenir au grand Marcel).
Le bois, la pierre, le métal, le plastique, le verre, ont chacun leur chance. Nous allons de la transparence à l’opacité, du vide au plein, et ces objets statiques mettent nos yeux en mouvement. Un va-et-vient qui nous restitue ce plaisir ludique, le même que le sien.                 On remarquera son intérêt pour le répertoire formel de l’architecture.
Parlons enfin de ces fameuses gaines extensibles aux couleurs vives : les « entrelacs ». Il enroule et déroule des figures aléatoires :  à la nage sur l’eau, en suspension à l’assaut des arbres; elles  peuvent aussi onduler sur la prairie. Il hésite à les rendre inextricables. La plus légère d’entre elles, adossée au chevalet du peintre est une réponse élégante au discours sur la peinture. Geste provocateur pour les uns et pour d’autres, fidélité à l’arabesque, qui peut s’ébattre en toute liberté.
Jean Vidal qui inscrit des signes eurythmiques dans le paysage, ne cache pas son goût pour les musiques répétitives ou concrètes. Son minimalisme assidu et patient ne dissimule pas un humour et une poésie où l’anecdote n’a pas sa place. Il sait tout de même plaisanter avec la recherche de l’absolu. C’est ce qu’il nous montre, ses sculptures ont le dernier mot et c’est heureux, sous le soleil de la grande bleue.  
                   Bruno Guittard